C’était moins le manque d’hommes que le manque d’argent qui en était la cause. Faute d’approvisionnements, on n’amena qu’une armée médiocre, proportionnée aux ressources que Ton espérait trouver sur le territoire ennemi. Arrivés devant Troie et vainqueurs dans un premier combat Ce premier combat livré sur le rivage de la Troade, Homère n’en fait aucune mention, à moins que ce ne soit celui o4 périt le héros Protésilas (Iliade, II, 695). Mais il dut nécessairement avoir lieu ; car lee Troyens ne pouvaient manquer de s’opposer an débarquement des Grecs, avant de leur permettre.de tirer leurs vaisseaux à terre et de s’entourer d’un retranchement. (autrement ils n’auraient pu s’établir dans un camp retranché), les Grecs n’usèrent pas même alors de la totalité de leurs forces; mais la nécessité de se procurer des vivres les contraignit de cultiver la Chersonêse et de courir le pays. Leur dispersion permit aux Troyens de tenir tête à ceux qui se succédaient autour de leurs murs et d’endurer un siège de dix années. Si au contraire les Grecs fussent partis bien approvisionnés, et que, sans recourir au brigandage et à l’agriculture, ils eussent poussé la guerre avec vigueur, nul doute qu’ils n’eussent emporté la ville, puisque, tout disséminés qu’ils étaient et n’ayant devant Troie qu’une partie de leur monde, ils ne laissèrent pas de se maintenir. En l’assiégeant avec plus de suite,.ils l’auraient prise en moins de temps et avec moins de difficulté. C’est ainsi que, faute d’argent, les entreprises antérieures à cette expédition n’eurent qu’une faible importance, et que, à juger par les faits, la guerre de Troie elle-même, quoique plus célèbre comparativement, ne répond pas à sa renommée et à l’opinion que les poètes nous en ont transmise. Même après la guerre de Troie, la Grèce vit encore des déplacements et des migrations qui, en lui ôtant le repos, firent obstacle à son accroissement. Le retour des Grecs après leur longue absence occasionna dans beaucoup de villes des troubles 'et des séditions. Ceux qui en furent victimes allèrent s’établir ailleurs. Ainsi les‘Béotiens d’aujourd'hui, chassés d’Arné par les Thessaliens soixante ans après la prise de Troie La ville d’Arné, métropole des Béotiens, était, à ce qu’on croit, située dans la partie centrale de la Thessalie, entre les fleuves Énipée et Apidanos. Cette ville disparut dans la suite; mais U en resta un temple de Minerve Itonienne, divinité nationale des Béotiens, et à laquelle ils en élevèrent un nouveau près de Coronée en Béotie. , se fixèrent dans le pays appelé maintenant Béotie et jadis Cadméïde : il y avait déjà dans ce pays une fraction du même peuple, qui envoya des guerriers au siège d’Ilion Thucydide va au-devant d’une objection que les Grecs n’auraient pas manqué de lui faire. Dans le catalogue des navires, Homère cite en première ligne les Béotiens. Suivant l’usage, il leur assigne Fex-trême droite, parce que l’armée avait été rassemblée dans le port d’Aulis, sur leur territoire. Il fallait donc qu’à cette époque il y eût déjà des Béotiens en Béotie. . Quatre-vingts ans après la prise de Troie, les Doriens s’emparèrent du Péloponèse sous la conduite des Héraclides La conquête du Péloponèse par les Doriens, ayant à leur tête les Héraclides ou descendants d’Hercule, eut lieu, selon les calculs les plus probables, 1104 ans av. J. G.; ce qui reporte la date de la prise de Troie à 1184 av. J. C. Hérodote parle incidemment (IX, 26) de la tentative faite par Hyllos, fils d’Hercule, pour rentrer en possession du royaume de Mycènes; mais il ne raconte pas la grande expédition des Doriens. On peut consulter sur ce sujet l’ouvrage classique d’O. Muller [Die Dorier), ouvrage qui attend toujours une traduction française. . Enfin, lorsqu’après un long intervalle la Grèce, délivrée des migrations, jouit d’un repos assuré, elle forma des établissements au dehors; les Athéniens colonisèrent l’Ionie nt la plupart des fies, et les Pélo-ponésiens, la majeure partie de l’Italie et de la Sicile, sans compter quelques établissements dans le reste de la Grèce. Toutes ces colonies sont postérieures à la guerre de Troie. Cependant la puissance et la richesse de la Grèce grandissaient de jour en jour. A la faveur de cette prospérité croissante, on vit dans la plupart des villes s’élever des tyrannies La tyrannie chez les Grecs était une autorité illégitime que s’arrogeait un citoyen dans un Etat ayant une constitution républicaine. C’était un retour extralégal à l’ancienne royauté. Presque partout les tyrans avaient commencé par être les chefs du parti populaire dans la lutte de celui-ci contre l’aristoeratie, on des classes indigènes contre la noblesse dorienne dans les Etats fondés par les Doriens. C’est pourquoi Lacédémone fit partout la guerre aux tyrans, jusqu’à ce qu’elle les eût renversés. Le sixième et le septième siècles avant notre ère sont, pour la majeure partie de la Grèce, l’époque des tyrannies. à la place des anciennes royautés héréditaires, dont les privilèges étaient déterminés Les privilèges des rois dans les temps héroïques consistaient à rendre la justice, à commander l’armée, à présider les assemblées (sans cependant rien décider que de l’aveu des vieillards ou du peuple), à faire fonctions de sacrificateurs dans les sacrifices publics. Ils avaieat un domaine réservé, une double portion des victimes, des présents nombreux et une part prélevée sur le butin. La royauté était héréditaire, mais toujours avec l’agrément de la multitude. . En même temps les Grecs formaient leur marine et s’adonnaient de plus en plus à la navigation. Les Corinthiens furent, dit-on, les premiers qui, pour les constructions navales, adoptèrent un système analogue à celui d’aujourd’hui. C’est à Corinthe que furent construites les premières trirèmes grecques La trirème ( τριήρης ) était une galère à trois rangs de rames et à 200 hommes d’équipage. C’était lemodèle uniforme des vaisseaux de guerre grecs à l’époque de Thucydide. . On sait aussi que le constructeur corinthien Amino-clès fit pour les Samiens quatre vaisseaux de guerre ; or l’arrivée d’Aminoclès à Samos eut lieu précisément trois cents ans avant la fin de la guerre actuelle L’an 704 av. J. C. . Le plus ancien combat naval dont nous ayons conservé le souvenir est celui que les Corinthiens livrèrent aux Corcyréens On ignore le sujet de cette ancienne guerre de Corinthe contre sa colonie. Le scholiaste prétend qu’elle eut lieu à la suite du meurtre de Lycophron, fils de Périandre, tyran de Corinthe (Hérodote ΙΠ, 50). Mais Wesseling et Larcher ont prouvé que ce serait reculer de plus d’un siècle la date fournie par Thucydide. Au surplus Homère ne fait jamais mention de bataille navale. De son temps, les vaisseaux ne servaient qu’au transport des guerriers, sans qu’on eût l’idée de se battre sur mer. deux cent soixante ans avant la même époque 664 av. J. C. . Corinthe, par sa position sur l’isthme, fut de bonne heure une place de commerce. Comme autrefois les Grecs communiquaient entre eux plutôt par terre que par mer, c’était cette ville qui mettait en rapport les habitants de l’intérieur du Péloponèse et ceux du dehors; aussi devint-elle très-florissante, ainsi que l’atteste le surnom d'opulente, que les anciens poètes lui ont donné L’épithète d'opulente ( ἀφνειός ) est donnée à Corinthe par Homère (Iliade II, 570) et par Prndare (Οd. XIII, 4). . Quand la navigation se fut étendue, les Corinthiens employèrent leurs vaisseaux à détruire la piraterie; et, ouvrant un double marché au négoce, ils eurent une ville puissante par ses revenus. La marine des Ioniens se forma plus tard, sous le règne de Cyrus, premier roi des Perses, et sous celui de son fils Cambyse. Durant la guerre qu'ils soutinrent contre Cyrus, ils eurent un moment l’empire de la mer qui les avoisine ; et du temps de Cainbyse, Polycrate, tyran de Samos, fut assez fort sur mer pour soumettre plusieurs îles, notamment Rhénéa, qu’il prit et consacra au dieu de Délos Ceux des Ioniens d’Asie Mineure qui eurent le plus de vaisseaux furent les Milésiens, les Phocéens, les Chiotes et les Samiens. Leur marine était déjà considérable du temps de Crésus, roi de Lydie (Hérod. I, 27 et 163). Sous le règne de Cambyse, une flotte ionienne prit part à l’expédition de ce prince contre l’Égypte. A lui Seul Polycrate, tyran de Samos, y envoya 40 trirèmes (Hérod. III, 44). Sur l’empire maritime de Polycrate, voy. encore Hérodote, III, 122 et 39, où il est dit qu’il possédait 100 pentécontores ou bâtiments à 50 rames. Sur Rhénéa, voy. III, 104. ; enfin les Phocéens, à l’époque où ils fondaient Marseille, remportèrent sur les Carthaginois une victoire navale La fondation de Marseille par une colonie de Phocéens est placée communément 600 ans av. J. C. Hérodote (1,166) parie bien d’un combat naval entre les Carthaginois et les Phocéens, dans lequel ces derniers eurent le dessous; mais il ne dit mot de la fondation de Marseille. Cette fondation est indiquée par Isocrate (Archid., p. 149) , par Athénée (ΧIII, v), par Justin (XLIII, ni) et par Agathias (I, p. 12). . Telles furent les marines les plus puissantes de la Grèce; or toutes, comme on le voit, sont postérieures de plusieurs générations à la guerre de Troie. Elles n’avaient qu’un petit nombre de trirèmes et se composaient, comme dans l’ancien temps, de pentécontores et de vaisseaux longs Les pentécontores étaient des vaisseaux de guerre à 50 rames, disposées sur un seul rang, 25 de chaque côté. Les premiers bâtiments de ce genre qui servirent en Grèce furent ceux sur lesquels arrivèrent à Argos les Egyptiens de Danaüs (Pline, Nat. Hist., VU, 57). C’est probablement à cette circonstance qu’il faut rapporter 1e nombre légendaire des 50 filles de ce prince et des 50 fils de son frère Ægyptus (Sésostris). Plus tard, le navire Argo fut construit sur ee modèle. Le nom de vaisseaux longs est un terme générique, désignant les vaisseaux de guerre, par opposition aux vaisseaux ronds ou bâtiments marchands. . Peu avant les guerres Médiques et la mort du roi des Perses Darius, successeur de Cambyse, les tyrans de Sicile eurent beaucoup de trirèmes, de même que les Corcyréens Gélon, tyran de Syracuse, offrit aux Grecs menacés par les Perses, 200 trirèmes, à condition qu’il aurait le commandement en chef des alliés; ce qui ne fut pas accepté. Les Corcyréens envoyèrent 60 vaisseaux qui ne rejoignirent pas la flotte grecque (Hérod.,VU, 158 et 166). . Ce sont les dernières marines considérables que la Grèce ait possédées, avant l’invasion de Xerxês : celles des Ëginètes, des Athéniens et de quelques autres peuples étaient sans importance et presque uniquement .composées de pentécontores. Ce fut assez tard que, sur le conseil de Thémistocle, les Athéniens, alors en guerre avec les Ëginètes et dans l’attente de l'invasion barbare, firent construire les vaisseaux sur lesquels ils combattirent A Salamine. Peu avant la guerre, Thémistocle avait persuadé aux Athéniens de consacrer à l’augmentation de leur flotte les revenus des mines d’argent de Laurion (Plutarq., Thém., 4). ; et encore ces vaisseaux n’étaient-ils pas tous pontés. Telle était la marine des Grecs dans l’antiquité et à des époques plus rapprochées de nous. Néanmoins les villes qui avaient des flottes se rendirent doublement puissantes, et par les revenus qu’elles en tiraient, et par leur supériorité sur les autres cités; au moyen de leurs vaisseaux, elles subjuguaient les îles, surtout quand leur propre territoire ne suffisait pas à leurs besoins. Sur terre il ne s’alluma aucune guerre d’où pût résulter quelque agrandissement. Parfois des voisins en vinrent aux mains les uns avec les autres ; mais les Grecs ne formèrent aucune expédition lointaine dans un esprit de conquête. On ne voyait point les petits États se grouper sous la sujétion des plus grands ni se réunir pour former des entreprises communes; il n’y avait que des luttes partielles et de voisinage. Une seule fois la Grèce se partagea en deux camps opposés : ce fut dans la guerre que se firent jadis les Chalcidéens et les Érétriens Chalcis et Érétrie, villes principales de l’Eubée, se firent la guerre au sujet de la plaine fertile de Lélanton. Les Milésiens soutinrent Érétrie, les Samiens Chalcis. L’époque de cette guerre est approximativement fixée à l’an 800 av. J. C. .